EMMANUELLE GALL
MONUMENT MOBILE
Lors de mes voyages en France et aux Antilles, en quête d’un lieu de recueillement et de partage dédié à la mémoire de l’esclavage, il m’est apparu que si les institutions et musées évoluaient dans leur traitement de l’histoire coloniale, la part sensible et affective de la mémoire était souvent absentes de leurs propositions...
Je projette ainsi de créer un "monument mobile" à la mémoire de "nos ancêtres inconnus", installé dans un container maritime. Inspiré par LE TOMBEAU D’EULALIE, il en est une version éclairée à la manière d’un théâtre d’ombre, projetant tels des fantômes, les contours des poupées qui constituent le manteau.
Les visiteurs seraient invités à réagir, avec leurs propres mots et/ou dessins sur les parois du container ou en laissant des messages autour de l’installation.
Le container suivrait le chemin de la traite à l’envers. Il s’arrêterait dans les différents ports négriers français avant de se rendre aux Antilles puis de rejoindre l’Afrique...
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À l’heure où les débats sur l’esclavage colonial et son héritage autorisent enfin une pluralité des points de vue et des paroles, je voudrais joindre ma voix à celles des artistes et des poètes qui, avec Jérôme Carlos, désirent "n’invoquer une généalogie et n’évoquer la perpétuation de la domination que pour mieux proposer une nouvelle humanité : ni vengeance, ni réparation mais une prière à la diaspora pour bâtir la maison de l’homme".
[…]
Le sang métis qui coule dans mes veines est notre part d’offrande pour que soient à jamais conjurées la bêtise de tous les exils forcés,
la sottise de toutes les formes de mépris de l’homme pour l’homme.
Je proclame, ici et maintenant, un cessez-le feu définitif,
et j’adresse, aux dieux du ciel et de la terre ma prière.
Laissez-moi prier
Laissez-moi ma prière
Elle n’est ni blanche, ni noire, ma prière
Ma prière, couleur de vérité
Ma prière, couleur d’éternité
Laissez-moi prier
Laissez-moi ma prière
Elle n’est ni d’ici, ni d’ailleurs, ma prière
Ma prière sans barrières
Ma prière sans frontières
[…]
Ma prière, éternel hommage
Ma prière, rapsodie sans âge.
Je suis déjà trait d’union entre hier,
aujourd’hui et demain.
Je suis déjà lien historique entre ce qui fut,
ce qui est et ce qui sera
Je veux être, à présent, le ferment
d’une nouvelle alliance entre les hommes,
par-delà les races et les classes.
Je veux être le pont de l’espoir
jeté par-dessus les mers,
Je veux gommer de vos cœurs
les préjugés pluriséculaires
dont les stigmates balafrent encore
outrageusement l’humanité tout entière.
Et voici, mon chant final.
Je la veux comme une bouteille à la mer.
Qu’elle refasse la traversée d’autrefois,
la souffrance en moins.
Qu’elle aide à reconstruire
la mémoire de l’essentiel,
les souvenirs en sus…
Jérôme Carlos
"Du devoir de mémoire au devoir d’histoire", Africultures n°11, octobre 1998.