Comme Césaire, "j’habite des ancêtres imaginaires". Ou plutôt, je me sens "habitée" par des ancêtres imaginaires, deux fois déracinés. Les esclaves ayant été exclus de l’Etat-civil français jusqu’en 1833, je ne saurai jamais qui était la mère d’Eulalie et encore moins qui étaient nos ancêtres africain.e.s déporté.e.s. D’où venaient-ils ? Quand ont-ils été capturé.e.s ? Comment ont-ils survécu au passage du milieu ?

Longtemps, quand je songeais à mes ancêtres africain.e.s, mon imagination butait sur un plan de navire négrier. Comment "digérer" cette image, quand on associe l’un des corps à son ancêtre ? Sur un drap de métisse, hérité de mes aïeules antillaises, j’ai brodé un linceul. C’est le premier ouvrage d’Eulalie.

Issue d’un monde régi par le culte des ancêtres, Eulalie est-elle parvenue à panser sa "blessure sacrée" ? Son deuxième ouvrage est un voile de deuil et un filet de pêche miraculeuse, un habit rituel et un reliquaire… Au centre du mannequin de couture qui le porte, j’ai placé Eulalie, ma poupée. Elle flotte parmi ses ancêtres, inspirés des "poupées" africaines traditionnelles : akwaba, omolangidi, nguana, mwana hiti, biga, ham pilu, nyeleni, tsobii… Poupées de mariage ou de fertilité, jouets, figures d’ancêtres, fétiches…chacune est porteuse de sens et raconte une histoire particulière. Ce manteau est aussi le mien.

Fantômes et Gisants, à taille humaine, prolongent l’installation. Les uns semblent perdus dans les limbes, les autres sont les "ombres africaines" de mes ancêtres esclaves, affranchis, mulâtres : projections moins réalistes mais plus signifiantes de leur personnalité ou de leur destin.

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L’ensemble constitue Le Tombeau d’Eulalie, au sens musical du terme : "une pièce monumentale, de rythme lent et de caractère méditatif, non dénuée parfois de fantaisie et d'audace harmonique ou rythmique".